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Milva, un rêve de femme libre. « Mais où sont les neiges d’antan ? »

03 - 05 - 2021


Poème de François Villon, adapté par Bertolt Brecht et chanté par Milva.

 

Certains ne le savent peut-être pas encore, une des plus grandes artistes de la scène du 20ème siècle, vient de nous quitter, ce samedi 24 avril 2021 : MILVA.
Si j’écris ici quelques lignes à son sujet et en quelques autres lieux, c’est en pensant à mes jeunes amis qui ne l’ont pas connue, d’aucuns ignorent jusqu’à son nom. Je prie les autres d’excuser ce rappel de tant de choses qu’ils savent déjà. Mais ceci me paraît aussi comme une obligation parce-que - comme beaucoup qui l’ont aimée et admirée intensément, l’un n’était pas possible sans l’autre - je ressens cette disparition comme un deuil personnel de plus. Et à travers cette mort, celle de toute une époque inspirante.

Qui, en effet, aujourd’hui, pourrait atteindre à une telle célébrité et un tel engouement populaire (80 millions de disques vendus, 173 albums, invitée 10 ans de suite dans sa jeunesse au Festival de San Remo, etc.) et, en même temps, être entourée et honorée du respect et de la ferveur des plus grands intellectuels, artistes et metteurs-en-scène de haute exigence de son temps ? Je n’en vois d’exemple équivalent nulle part.

Son répertoire est allé de la voix sauvage et archaïque des Mondine (ces planteuses des rizières italiennes) à la musique contemporaine la plus raffinée. Lucieno Berio lui a confié le rôle principal pour la création de son opéra « LA VERA STORIA » à la Scala de Milan. Elle fut considérée comme « la panthère de Goro », une rousse flamboyante à la beauté imposante et ravageuse, une diva et même une « femme fatale » (maris morts tragiquement) et dans le même temps, pour d’autres, elle était l’incarnation exemplaire de la « chanteuse prolétarienne », avec des versions inoubliables de « BELLA CIAO », des oeuvres de Mikis Theodorakis et de tout chant qui pouvait porter à s’insurger contre l’héritage et les survivances du fascisme, l’arrogance des puissants, la cruelle irresponsabilité de ceux qui dirigent et conduisent le monde, à sa perte. Sa voix, rauque ou caressante, allait du grave le pus sombre et le plus profond, aux notes les plus hautes et les plus flûtées avec une maîtrise technique hors pair qui ne s’étalait jamais pour le seul plaisir de briller mais toujours rigoureusement au service du sens, dans une rare intelligence des rôles et du texte. Capable de jouer de tous les timbres, elle s’en servait souvent pour camper certains personnages avec cocasserie, on pourrait dire avec un humour « de classe » et une ironie décapante.

Pas seulement pour nous, encore une fois, mais pour beaucoup et pour longtemps j’espère, elle restera avant tout celle qui aura servi magnifiquement et de manière extrêmement singulière tout le répertoire brechtien. Il n’est pas exagéré de dire qu’elle aura inventé, pas seulement sous sa direction, mais réellement avec Giorgio Strehler, une approche italienne spécifique de l’univers brechtien. Dès 1967, dans un spectacle solo dirigé par Strehler, mais surtout après l’inoubliable OPERA DE QUAT’SOUS de 1973 au Piccolo Teatro de Milan, elle portera avec un énorme succès à travers le monde entier, cette vision si personnelle de Brecht, et elle y reviendra toujours et jusque dans ses dernières années sur scène (2010) avant que la maladie la frappe.

Comment imaginer à présent quelqu’un qui, dotée d’un talent si éclatant et soutenu d’un travail si acharné, oserait se risquer dans des domaines (et en face de publics) si hétérogènes, reprenant Piaf ou Brel ou se confrontant au dodécaphonisme sans pourtant jamais se renier ni même se compromettre ?

Ce ne sont pas seulement les qualités propres à Milva qui ont permis cela. Ce serait plutôt le fait d’avoir osé être pleinement une artiste et une femme de son temps. Cet espace de quelques décennies qui a communiqué à beaucoup de ceux qui l’ont traversé, le sentiment puissant que tout était possible. Et notamment de changer la face du monde en même temps que de bouleverser les limites de la création artistique.

Nous sommes de ceux à qui Milva a communiqué ce rêve, non seulement par ce qu’elle jouait et chantait, mais tout autant par sa présence vivante, celle d’un type de femme qui, à travers elle, se manifestait comme possible : une femme parfaitement libre et pleinement accomplie. Qu’elle existe réellement et de cette façon, nous invitait à croire en cet avenir meilleur et à poser les mêmes choix qu’elle. Simplement. 

                                            Jacques Delcuvellerie.


Je renvoie ici à un lien où, certes, la jeunesse de Milva est bien loin, 67 ans, je pense, mais ce concert a été donné pour célébrer le 50ème anniversaire de la mort de Brecht et du premier grand travail de Giorgio Strehler sur cet auteur. Dans ce spectacle, Milva a inclu plusieurs vidéos où on voit le Maestro et notamment, vers la fin, une scène où il joue et chante lui-même « Le chant des canons » de l’OPERA DA TRE SOLDI. Par ailleurs, pour ceux qui n’ont pas honte d’avoir les larmes aux yeux, le premier « song » très doux (après +/- 15’) ne laisse pas insensible…

 


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