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A LIRE concernant le coffret RWANDA 94

04 - 02 - 2014


Rue du Théâtre -  Théâtre et catharsis en DVD par Michel Voiturier  - Théâtre public Rwanda 94 du Groupov, enfin édité en DVD par David Faroult  - NPA DVD : Rwanda 94 par Olivier Neveux

 

Rwanda 94
Théâtre et catharsis en DVD
Par Michel VOITURIER

Cette « tentative de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants » que fut le spectacle document du Groupov se devait d’aller au-delà de l’existence éphémère d’une tournée. La voici en 5 DVD pour que la mémoire collective se souvienne de cette courageuse réalisation essayant de rendre compte du génocide dont le Rwanda fut (si cette expression convient ici) le théâtre.
Cette somme audiovisuelle est bienvenue. Elle permet de revoir une représentation qui reste bouleversante, qui fut une expérience quasi unique de mettre en relation directe le travail scénique et la réalité historique. Elle amène à une réflexion en profondeur sur le rôle citoyen du théâtre et sur la manière dont notre monde est gouverné.
"Rwanda 94"
« Rwanda 94 » se présente en quelque sorte comme une synthèse grandiose de ce que fut ou aurait dû être le théâtre brechtien. C’est-à-dire à la fois une création avec des comédiens et des musiciens mais également de véritables témoins issus du réel. Un spectacle qui mêle des musiques et des chants, compositions contemporaines puisés à même la novation musicale du siècle mais accompagnés de traditions locales, devenant tour à tour d’opéra ou de cabaret, mélopée ou chanson.
Un spectacle où cohabitent fiction scénique et témoignages bruts, présence réelle des acteurs et images projetées. Masques et marionnettes s’ajoutent aux costumes. Du côté des mots, ce sont monologues et même conférence, dialogues, chœur pour cantate parlée, psalmodies, litanies, refrains et couplets de chanson, citations. Ils sont joués ou lus. Les écritures en sont forcément diverses. Mais de toute façon, elles ne servent jamais un pathos qui n’ajouterait rien et freinerait sans doute la nécessité d’analyse.
Les musiques, poignantes et lancinantes, parfois allégées d’une pointe d’ironie, composées par Garrett List, ponctuent le spectacle à divers moments jusqu’à prendre parfois des allures d’opéra. Elles s’avèrent essentielles pour créer des ambiances, assurer des transitions, laisser respirer le public quand les mots sont devenus drus.
Ceux-ci nourrissent la parole nue de la survivante qu’est Yolande Mukagasana. Son récit, simple, contient tout l’effroi d’une réalité qui a dépassé l’entendement. Il demeure un moment essentiel qui dit aussi qu’il ne s’agit pas d’une représentation théâtrale habituelle puisque qu’elle plonge, en différé mais directement, dans la réalité avec les vraies larmes du vécu tragique.
Le chœur des morts allie le chant aux instruments, donne des bribes de déclarations mêlées, tissant dans la salle le discours polyphonique des témoins avant que des images filmées de l’actualité ordinaire mêlent la vie du monde au génocide évoqué par des visages en gros plan qui authentifient en langue du pays. Les lectures chorales viennent aussi égrener des questions. Celles qui se posent et qui n’ont guère reçu de réponses jusqu’à ce jour car elles mettent en cause tant de responsabilités locales, internationales, institutionnelles, politiques, religieuses…
Particulièrement signifiantes sont les séquences qui insistent sur le rôle des média, surtout l’ambigüité de la télévision où les débats, menés sous couvert d’impartialité, rendent glacés des propos qui se veulent compréhensifs et généreux sans néanmoins atteindre la vérité du réel vécu par les habitants. Et, malgré leur bonne volonté, des journalistes sincères restent prisonniers des impératifs financiers des grandes chaînes télévisuelles.
"À travers nous l'humanité..."
La structure de « Rwanda 94 » était constituée de ces mélanges, de ces ruptures qui cherchent à multiplier les points de vue de façon à cerner la réalité sous des angles multiples. De façon à remettre en cause de quelle manière est transmise l’information, comment elle est codifiée, de quelle façon elle est habillée voire déformée.
Le film de Marie-France Collard, « À travers nous, l’humanité… », parvient à confronter la création dramatique et la réalité de terrain. Il montre des extraits du spectacle et transmet d’une partie des émotions du public rwandais assistant, chez lui, à une représentation.
En alternance, il nous emmène sur des charniers où on déterre des corps. Il nous entraîne auprès de victimes qui témoignent de massacres et de viols, qui expriment leur difficulté à vivre auprès  de bourreaux qui ont été relâchés par la justice, qui disent leur insatisfaction devant des sentences ressenties trop clémentes et leur peur de représailles de la part de ceux dont la haine reste vivace.
Une des conclusions apportée par un psychologue rwandais éclaire bien le rapport du théâtre à la vie et l’apport qu’il  donne au public. Il constate qu’une partie de la population qui n’a pas vécu de près le génocide soit par exil à l’étranger, soit par refus de s’informer, mise en face de la représentation créée par le Groupov a pu pendre réellement conscience de ce qui s’était passé.
« Bruxelles-Kigali »
« La justice dans toute démocratie ramène l’humanisme là où il n’y avait que de la barbarie » mais elle n’a pas la tâche facile. Ce film est le rappel du procès en cours d’assises de Bruxelles d’accusés hutus. Il montre en parallèle des interventions de magistrats, d’avocats, d’enquêteurs, de témoins et des souvenirs de survivants, ainsi que des images d’archives terrifiantes.
Outre les récits de massacres, les rescapés en arrivent aussi à s’interroger sur le basculement de certains, connaissances et voisins, passés d'une cohabitation presque amicale à une inhumaniré impitoyable. Ils se rendent compte que s’ils reviennent au pays après le procès et les condamnations, ils ne seront paa protégés et sont contraints dès lors à demander l’asile politique en Belgique. Il y a aussi cette incompréhension d’être dans la salle d’audience du tribunal face à ou à côté de témoins hutus venant déclarer qu’ils n’avaient quasi rien vu et encore moins participé.
La fin est hélas loin d’être épilogue heureux. Au soulagement éprouvé par la condamnation d’un des principaux responsables succèdera la demande en cassation et le décès par maladie de l’inculpé avant un nouveau procès, mort donc judiciairement innocent. Alors, les survivants constatent que le pardon est impossible. Que seule une nouvelle forme de coexistence peut s’envisager pour le bien du pays.
Sobrement filmé, ce documentaire est entrecoupé de plans fixes pris au palais de justice de Bruxelles. Ils montrent l’iconographie des images insérées dans l’architecture en fresques, peintures ou statues, censées définir aux yeux du peuple qui les regarde ce qu’est un jugement, ce qu’est une juste condamnation des coupables.
 

04/02/2014 - NPA
DVD : Rwanda 94 -
En 1999, la création et les représentations de Rwanda 94, un spectacle de la troupe belge Le Groupov, furent un événement. Un coffret DVD rassemble désormais la pièce et un certain nombre de documents (1).
Tout commence en avril 1994. Le metteur en scène Jacques Delcuvellerie découvre à la télévision des images du Rwanda. Il ne se satisfait pas des discours télévisuels et politiques, plus ou moins discrètement racistes, et de la bouillie qui tient le plus souvent lieu d’analyse, et décide de comprendre. En 1999, il présente une première version de Rwanda 94 au festival d’Avignon. Le spectacle tournera jusqu’en 2005, avec des représentations au Rwanda en 2004.
La pièce débute par le témoignage d’une rescapée, Yolande Mugakasana : « Je ne suis pas une actrice », prévient-elle avant de déplier l’horreur de ce qu’elle a vécu. Puis la « fiction » théâtrale peut commencer : une journaliste Bee Bee Bee voit son émission consacrée au Rwanda interrompue par des fantômes qui surgissent au moment où elle prononce le mot de « tragédie ». Au Rwanda, il n’y eut pas de tragédie (avec ce que cela suppose de fatalité et d’impuissance) mais un génocide, c’est-à-dire un processus politique d’extermination. Bee Bee Bee s’engage alors dans un long parcours initiatique pour comprendre.
Durant près de six heures, mobilisant une multitude de formes et de dispositifs (théâtre documentaire, agit-prop, conférence, projections, oratorio, musique, etc.), Rwanda 94 s’attache à rendre intelligible ce que les médias et la diplomatie française se sont acharnés à rendre opaque et indéchiffrable. Le point de vue est matérialiste, l’orientation anti-impérialiste. Dès lors, le spectacle met en lumière les responsabilités (des États belges et français, notamment), décrit l’enchaînement des faits, repère les processus idéologiques à l’œuvre. La pièce, passionnante, s’adresse à l’intelligence de son spectateur : il est fait le pari que lui aussi veut comprendre. Et la pensée qui naît, alors, s’appuie sur les émotions du spectacle tout autant qu’elle en produit de singulières. Le coffret est complété de deux films de Marie-France Collard, Rwanda. À travers nous, l’humanité…, revient sur les rescapés du génocide, dix ans plus tard, à l’occasion des représentations au Rwanda de la pièce. Bruxelles – Kigali suit le procès d’un génocidaire réfugié en Belgique à partir d’images d’archives mais aussi du procès lui-même.
Comme son sous-titre l’indique, Rwanda 94 est une « tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants ». La pièce réussit, en effet, le tour de force d’être simultanément une grande œuvre, un document rare et une puissante intervention politique « à l’usage des vivants ».
Olivier Neveux
 


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