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L'Annonce faite à Marie


Création en février/mars 1991 au Théâtre de la Place, Liège



Premier volet du triptyque "Vérité"

 

Dans la plupart de ses drames, CLAUDEL a pris le risque considérable, comme BRECHT, de les inscrire dans une situation contemporaine ou proche. L’ANNONCE FAITE À MARIE, elle, est située dans un Moyen-Age d’enluminure, dans un Moyen-Age idéal. Situer l’action au milieu des croisades, du roi de France, de la lèpre, de la paysannerie, de l’Eglise, des cathédrales, c’est ouvrir un espace mythique où il y a beaucoup de place pour le rêve. Cet espace-temps remplit plusieurs fonctions de modèle idéal (un âge exemplaire de la Foi chrétienne) et de distanciation (parce qu’elles sont situées dans un contexte étranger). L’ANNONCE FAITE À MARIE se passe donc dans un temps mythique où le désordre universel peut être accepté, et même transcendé parce qu’il n’est qu’une partie du « Plan de Dieu », du Grand Ordre. Bien sûr, puisqu’il y a drame, la pièce se passe aussi dans un temps « dérangé ». Il y a deux rois en France, trois papes, tout s’en va à vau-l’eau, sauf ce petit coin de terre : Combernon, où tout est prospère et bien équilibré. A l’intérieur de cette vision du monde ordonnée, CLAUDEL invente un désordre supérieur, le désordre des saints, le désordre de ceux qui dérangent l’ordre de l’Eglise et de la société ordinaire. Anne Vercors, le père, et Violaine, la fille, en vrais chrétiens, vont déranger ce coin d’ordre préservé afin de sauver tout le reste : le père par une sorte de croisade solitaire à Jérusalem ; la fille en s’immolant – totalement. Ce sont des comportements aux antipodes des usages de la société. C’est le problème de la sainteté, c’est-à-dire la difficulté du message évangélique en tant qu’inspirateur d’un ordre social. Car si on veut retourner à ses fondements et à ce que dit l’Evangile : « Distribue tes biens aux pauvres », « Tends la joue droite », « Si ton œil te scandalise, arrache-le », etc., on est devant l’exigence de la sainteté qui n’admet aucune espèce d’ordre et qui fait qu’un père abandonne sa famille et qu’une fille est rejetée par tous et se retrouve isolée dans le désert, lépreuse et seule sous le regard de Dieu (…) Dans cette situation le théâtre n’est qu’une misérable petite béquille. Ce qui me touche énormément c’est la différence entre le début de la pièce et ce qui suit très brutalement après. On a un début de pièce avec des gens à leur plus haute période de promesse, de beauté, de jeunesse ou de maturité. Il y a une espèce de floraison magnifique. Et puis d’un seul coup tout change, le père est parti, la mère meurt, Violaine est lépreuse, elle est chassée et c’est dans le dur hiver que les grandes choses et la quintessence vont se révéler. C’est très évangélique : « Si le grain ne meurt… », et le grain  meurt pour renaître plus tard au printemps.

C’est quelque chose à quoi tout le monde peut être sensible, indépendamment de la Foi. Cette splendeur si vite partie, si vite détruite, la précarité. Au fond ce que font Anne Vercors et Violaine, en choisissant l’un de partir et l’autre de se sacrifier, plutôt que de laisser aller le cours normal des choses qui est la vie qui se dégrade, c’est de constituer la précarité et la contingence en décision, de les transcender en une offrande. C’est une manière de donner du sens à l’interminable déception de l’existence. Au lieu de « subir les revers d’une indigne fortune » comme dit Hamlet, c’est de les choisir et de les offrir, c’est de faire son chemin de croix.