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La Mère


Création en avril 1995 au Théâtre de la Place, Liège



Troisième volet du triptyque "Vérité"

 

Voyez-la, la mère prolétarienne, qui va son chemin, le chemin plein de détours, le long chemin de sa classe. Voyez-la, quand on diminue son fils d’un kopeck : elle ne peut pas lui faire une soupe appétissante. Alors elle en vient à s’opposer à lui et craint de le perdre. Puis, contre son gré, elle l’aide à combattre pour le kopeck, craignant maintenant de le perdre dans ce combat. Lentement elle suit son fils dans l’enchevêtrement des luttes pour le salaire. Dans le même temps, apprend à lire. Quitte sa maison, veille sur d’autres que son fils, sur d’autres qui ont le même sort : elle s’était pour son fils dressée contre eux, la voici qui lutte à leurs côtés. Sa famille alors s’agrandit. Bien des fils d’autres mères se retrouvent à sa table. Cette chambre, qui était trop petite pour deux, devient une salle de réunion. Mais elle et son fils ne se voient presque plus. Le combat l’éloigne d’elle. Cependant elle est dans la masse des combattants. Et les paroles qu’échangent la mère et le fils sont pour eux, dans la bataille, autant de paroles d’encouragement. Et le fils meurt. Et la mère n’avait jamais pu lui refaire une soupe selon la bonne recette. Mais maintenant la voici au cœur de la mêlée, au cœur de l’opiniâtre et gigantesque bataille des classes. Mère encore et toujours, mère toujours plus encore, mère à présent de ceux qui sont tombés, de ceux qui luttent, de ceux qui vont venir, la voici qui met de l’ordre dans les affaires de l’Etat. Au banquet des profiteurs, c’est des cailloux qu’elle sert. Les armes, elle les astique. A la multitude de ses fils et de ses filles, elle enseigne le langage du combat contre la guerre et contre l’exploitation. Elle, soldat d’une armée en marche sur toute la terre, elle toujours menacée, toujours menaçante, nulle part tolérée et intolérante. Accablée de coups et implacable.

Bertolt BRECHT